Cimetière de St-Eugène | ||
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Mais le stade de notre coeur était celui de Saint-Eugène, construit lui aussi à coups de terrassements et embelli d'une piste cycliste. C'était un vrai capharnaüm, donc un régal pour nous qui y allions quelquefois le jeudi, à la remorque des grands du quartier se rendant à l'entraînement.
Dans les meilleures tribunes, on s'asseyait sur les mauvaises chaises qui furent la cause de sa fin.
Un dimanche, le Gallia et le Racing Universitaire Algérois se rencontraient pour la première place. L'arbitre siffla contre le RUA un pénalty que le grand Maurice Cottenet, ancien gardien de l'équipe de France, arrêta en plongeant, juste sur la ligne.
Une discussion byzantine s'engagea pour savoir si le ballon avait ou non entièrement franchi cette ligne. Tout le monde s'en mêla, la dispute devenant aussi vive parmi les spectateurs que parmi les joueurs. Sans s'en rendre compte, les premiers se retrouvèrent tout à coup sur le terrain, mêlés aux seconds. Comme les palabres n'aboutissaient pas, les joueurs disparurent dans le vestiaire. Mais soudain, le public comprenant que la fête était terminée explosa en un cri de rage: "Mes cent sous ! Mes cent sous!" Personne ne faisant mine de rembourser, un inconnu empoigna une chaise et, d'un coup de talon rageur, en creva le fond de contreplaqué. Un autre voulant faire mieux en saisit une par le dossier et la brisa par terre. Chacun pris d'une émulation dévastatrice entreprit d'en faire autant. En trois minutes, la piste de ciment devant la tribune d'honneur se trouva jonchée d'une longue montagne de sièges démolis.
C'est alors que l'intervention d'un ruaïste se montra décisive: il fit un saut à une pompe à essence et en revint avec un bidon qu'il répandit sur les épaves, puis y mit le feu. Il s'appelait Tailhan. Il fut radié à vie! Au milieu de la foule qui allait, venait comme un vol d'étourneaux en ondes soulevées par une charge de gardiens de la paix ou une bataille entre supporters, un commissaire en tenue essayait de rétablir l'ordre. Je revois encore un lascar allonger la main vers lui, s'emparer de son képi et s'en coiffer. Bien entendu, mon père qui devinait combien je brûlais de démolir moi aussi mes quelques chaises pour pouvoir le lendemain à l'école raconter mes exploits me tenait la main d'une poigne vigoureuse.
Ce fut un magnifique, énorme et inoubliable incident. Philosophes, l'ASSE, la ligue d'Alger et la municipalité de Saint-Eugène reconstruisirent leur stade. Mais en béton.
Gabriel CONESA. "Bab-El-Oued notre paradis perdu." Robert Laffont. 1970 et Editions Jacques Gandini. 1995.
Douillettement adossé à la colline, le cimetière regardait la mer et sa sévérité, s'il en avait une, s'adoucissait de la proximité des grandes caves de vins et, surtout, du stade de football si proche que parfois le ballon rebondissait sur les tombes.
Chez nous, un cimetière n'est jamais triste et lorsqu'il m'arrivait avec Georges, mon futur beau-frère, de "sécher" le catéchisme, c'est là que nous allions nous promener, parmi les fleurs et les cyprès en nous amusant à déchiffrer les inscriptions. ....
Gabriel CONESA. "Bab-el-Oued notre paradis perdu." Robert Laffont. 1970 et Editions Jacques Gandini. 1995